Le cerveau humain, composé de 100 milliards de neurones et de 1000 milliards de cellules gliales, interagissant les uns avec les autres par un très grand nombre de contacts et d'échanges, est non
seulement d'une extrême complexité, mais également d'une très grande plasticité puisque ces liens se font et se défont au fil du temps d'une manière particulièrement dynamique.
Ce cerveau, dont nous savons depuis le dix-neuvième siècle qu'il est le siège d'une activité électrique qui peut
être repérée par des électrodes placées à l'extérieur du crâne, régule notre capacité de penser, d'agir, de mémoriser, de ressentir et d'expérimenter le monde qui nous entoure.
Quantité de travaux ont été réalisés qui nous montrent que c'est la fréquence d'utilisation, le nombre de fois où
la même sollicitation intervient, qui va modifier - déjà à l'échelle d'un seul neurone - la taille, l'épaisseur et le nombre de contacts synaptiques avec des milliers d'autres neurones.
L'organisation neuronale qui se met en place très tôt chez l'enfant va enrichir de façon considérable ses possibilités d'acquisitions et de savoir-faire. C'est en modifiant sans cesse les
connexions synaptiques que la personnalié toute entière se construit.
Les neurosciences comme bien d’autres disciplines dans les sciences du vivant ont bénéficié de l’apport d’un grand nombre de
technologies nouvelles..Les progrès technologiques réalisés par l'imagerie médicale au cours des trente dernières années - en particulier l'arrivée de l'imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle - ont particulièrement séduit le grand public.
Scan du cerveau
Les images sont particulièrement attrayantes et les couleurs qui se déclinent sur une large palette, désignent différemment des
zones du cerveau qui s'allument ou s'éteignent au grè de son activité réelle ou supposée
Cependant des critiques nombreuses - provenant de scientifiques reconnus - sont apparues dans les revues scientifiques de haut
niveau.
Sans vouloir - ni vraiment pouvoir - être exhaustif, nous pourrions citer l'article d'Alison ABBOT paru en 2009, sous le titre
"Brain imaging studies under fire" (Les études en imagerie du cerveau sous les feu (des critiques)) qui
soulignent la propension des chercheurs de certaines branches des sciences humaines à exagérer les liens entre l'activité observée et les émotions supposées. (NATURE Published online 13 January 2009 | 457, 245 (2009) | doi:10.1038/457245a )
D'autres, comme Richard A. LOVETT, dans un article paru en 2010, s'interrogent sur la reproductibilité de certaines expériences
d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle - "Reproducibility of brainscan studies questionned"
- tout en précisant qu'il ne s'agit nullement d'une remise en question de la technique elle-même qui a apporté suffisamment de preuves de son utilité (NATURE Published online 17 March 2010 | Nature | doi:10.1038/news.2010.129).
En effet la technique d'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) est une technique non invasive qui permet
d'atteindre - en routine - de très bonnes résolutions spatiales et temporelles. La mesure de l'activité du
cerveau, qui entraîne un accroissement des besoins en oxygène et en glucose, .est effectuée par l'acquisition du signal BOLD (blood-oxygen-level dependent) qui reflète les variations locales
et transitoires de la quantité d’oxygène transporté par l‘hémoglobine en fonction des besoins exprimés par le cerveau. Cette technique est utilisée en Clinique, par exemple, comme aide à une
intervention chirurgicale en permettant de mieux circonscrire la zone d'intervention. En Recherche, elle
est utilisée pour les études de connectivité fonctionnelle, dans le cadre de la Psychologie cognitive et comportementale et en Psychiatrie.
Au début de l'année 2011, Susan GREENFIELD, spécialiste de la physiologie du cerveau, connue par ailleurs pour
ses prises de position iconoclastes, a fait réaliser dans son laboratoire une expérience dans laquelle le sujet soumis au test était placé comme simple observateur d'un bulletin météo, pendant
lequel, pour la grande majorité d'entre nous, l'imagination est très peu sollicitée. Le cerveau étudié présenta cependant un semblant d'activité intense se traduisant par des variations de
couleur dans différentes zones. Et Susan GREENFIELD d'exprimer tout son scepticisme devant ce non événement.
Susan GREENFIELD
De plus, elle rappelait au passage que le cerveau, en réalité, est plutôt d'un gris terne et que les couleurs et
les nuances ne sont qu'un simple artifice engendré par le traitement d'images - par algorithme et ordinateur interposés.
Dans un article publié le 1er mars 2012 par la revue NATURE, sous le titre "Clear up this fuzzy thinking on brain scans" (Eclaircir cette pensée floue sur les scans du
cerveau), Olivier OULLIER, Professeur au laboratoire de psychologie cognitive à l'Université de Provence, souligne un certain nombre de dérives auxquelles on assiste aujourd'hui dans différents
domaines, depuis le Neuromarketing jusqu'à l'utilisation de scans du cerveau dans les tribunaux.
La neuroimagerie, dont l'usage est resté longtemps limité en tant qu'expertise d'appoint dans les tribunaux, a vu ces derniers
temps de plus en plus d'initiatives prises - aux Etats-Unis, en Inde ou en Italie - pour faire admettre les scans cérébraux comme preuve décisive de culpabilité ou d'innocence.
(NATURE 483, 7 (01 March 2012) doi:10.1038/483007a )
Olivier OULLIER
Olivier OULLIER déclare, dans le même article, que les Neurosciences voient se produire la même agitation autour d'elles, que ce
qui s'était produit quelques années plus tôt avec la Génétique et le Séquençage du Génome Humain. Et de conclure "La loi et la science ont quelque chose en commun, les deux peuvent être mal
interprétées.
En résumé, nous pourrions esquisser le tableau suivant du bon et du mauvais usage de cette technologie
(IRMf)::
•- Pour les chercheurs en
psychologie cognitive, au-delà de la mise en place d’une cartographie plus précise, en venir à croire et faire croire qu’une image équivaut à une pensée; donner une fausse idée des possibilités
réelles des avancées technologiques aux décideurs politiques par excès d’enthousiasme ou pour obtenir plus de moyens;
•- Pour la société, en particulier pour la Justice et les tribunaux, en
venir à penser que l’IRMf peût être admise juridiquement comme détecteur d’intention ou de mensonge du présumé coupable et pas seulement comme simple détecteur de lésions cérébrales par
exemple;.
•
•- Pour les communicants dans le domaine de la publicité, utilisation
des nouvelles techniques de Neuromarketing, dans le simple but d'influencer le comportement d'acheteurs potentiels.
•- Pour les communicants dans le domaine politique, essayer de
déterminer quels sont les éléments de langage les «plus porteurs» au détriment de toute règle déontologique;
•- Pour les journalistes scientifiques (ou autres) utiliser des images
de très grands qualité pour faire du spectaculaire et travestir la vérité – au lieu de servir de médiateur culturel auprès du public.
On le voit, le champ de la Neuroéthique appliquée, celle qui s'intéresse aux problèmes éthiques que soulève l’utilisation des nouvelles technologies pour l’étude et l’intervention sur le cerveau, est une branche
en plein essor de la Bioéthique. Tout comme la Bioéthique, la Neuroéthique n'est pas un domaine réservée aux seuls chercheurs et cliniciens engagés dans les neurosciences, mais elle est, tout au
contraire, ouverte à la réflexion du plus grand nombre.
Ne nous y trompons pas, ce n'est pas parce que nous pouvons voir des scans cérébraux très colorés et changeant au grè de
l'acquisition des images, que nous sommes soudain devenus capables de lire les pensées et de les interpréter.
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