15 mai 2008 4 15 /05 /mai /2008 17:26

Grande révélation du Sunday Times du 11 mai 2008 « Une équipe scientifique crée le premier embryon humain génétiquement modifié », article signé par Sarah-Kate TEMPLETON  . 

 

L’information sera reprise ensuite par la presse internationale.


Pour les lecteurs francophones, le contenu des articles conserve sensiblement les grandes lignes de l’article original, par contre les titres ont subi des modifications  drastiques reflétant sans doute le souci de la rédaction du journal de coller au plus près des attentes de ses lecteurs.

C’est ainsi que pour nos voisins belges il y a eu « Création puis destruction du 1er embryon humain génétiquement modifié » et nous sommes donc rassurés sur l'issue avant même d’avoir lu l’article, accessible en ligne en cliquant ICI.

Quant au lecteur français, en lisant Le Monde du 14 mai 2008, il apprend que : «Un embryon humain génétiquement modifié a été créé aux Etats-Unis ».


En effet, ce n’est pas parce que l’information est  révélée par nos amis d’Outre-manche qu’il s’agissait d’une première britannique comme cela s'est produit, voici 30 ans, avec la naissance de Louise BROWN ou comme pour l’arrivée de DOLLY le 5 juillet 1996. Dans cette affaire l’équipe scientifique qui est impliquée est nord-américaine.

Le titre accroche le lecteur, le garde en haleine et lui permet de relativiser et de prendre quelque distance, puisque les Etats-Unis c'est loin!

Cette distance "physique" explique sans doute que beaucoup de lecteurs, qui expriment leurs réactions, choisissent de ne pas procéder à l'analyse objective des faits,  mais préférent lancer un grand débat d’idées très générales où ils présentent leurs sentiments, leurs peurs, leurs  craintes, leur joie et leur approbation ou désapprobation…

 


Embryon humain cloné

Centre for Life in Newcastle upon Tyne in England



Zev Rosenwaks et Nikica Zaninovic, les scientifiques impliqués, (Center for Reproductive Medicine and Infertility, Weill Cornell Medical College, New York-Presbyterian Hospital, New York) sont des spécialistes de la Procréation Médicale Assistée. Les équipes du Centre utilisent les approches et technologies actuelles, ce qui inclut les techniques et outils de biologie moléculaire et cellulaire.

Dans le cas présent, rapporté par le Sunday Times, il s’agissait d’un travail présenté en 2007, lors d’une Conférence de la Société Américaine de Médecine Reproductive, qui mentionnait l’utilisation d’un marqueur génétique fluorescent dans un embryon humain non-viable afin d’étudier l’embryologie précoce. 

Il n'y a pas eu de grande publication, faisant suite à cette présentation, dans une revue scientifique d'excellence, comme la revue Science, Nature, Cell ou encore les Proceedings of the National Academy of Sciences.

Publier est ce qui permet à une équipe scientifique de prendre date et de légitimer lson apport à la communauté internationale, à plus forte raison dans le cas où la nouveauté du travail le justifie et l'impose.

Dans un monde où les scientifiques publient de plus en plus en ligne (pour raccourcir en partie les délais de publication), cela en dit long pour un autre scientifique, mais sans doute n'est-ce pas facilement perceptible pour le citoyen ordinaire qui n'a pas la contrainte de justifier (par des publications) ses demandes de crédits afin de poursuivre ses travaux de recherche.

Autre point significatif, dans cette assemblée présente à la Conférence et qui est composée de spécialistes de la Reproduction Humaine, tous particulièrement sensibilisés aux questions éthiques et juridiques, il n'y a eu aucune vague, aucune réaction, aucune dénonciation. Ce qui se serait produit pour un événement qui aurait pu paraitre inhabituel ou choquant.

Alors que s’est-il passé ? D’où vient le « scoop » du Sunday Times ?

Une hypothèse : en Grande-Bretagne, le gouvernement est en train de prendre un certain nombre de dispositions concernant la législation sur les Embryons Génétiquement Modifiés. Le sujet est très sensible, les enjeux  économiques et politiques sont extrêmement importants. Vous pouvez attaquer pour la n ième fois le principe de la production de plantes génétiquement modifiées, mais le public a déjà, plus ou moins, une opinion sur le sujet, et le gain potentiel d’une campagne supplémentaire n’est pas forcément  immédiat. Une approche bien plus percutante consiste à créer un événement extraordinaire et, dans ce cas, quoi de plus interpellant que la manipulation de l’embryon humain et la remise en jeu de l’avenir de l’espèce humaine.

 
Comme le rappelle l’article premier de la Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme de 1997 : «Le génome humain sous-tend l'unité fondamentale de tous les membres de la famille humaine, ainsi que la reconnaissance de leur dignité intrinsèque et de leur diversité. Dans un sens symbolique, il est le patrimoine de l'humanité.»


Cette histoire pourrait avoir un développement positif, elle pourrait permettre de soulever un vrai débat à partir d’une expérience qui n’appelle pas, en elle-même, au débat.
 

Il y a urgence à ce que Science et Société apprennent à se connaître et à débattre, et dans cet échange celui qui a le plus de connaissances a également de plus grandes responsabilités.

 


Articles en lien sur ce blog:

- Le scientifique, l'information du public et la réflexion éthique: The Responsibility of Science. Playdoyer pour un comportement éthique des scientifiques


Neuroimagerie fonctionnelle et neuroéthique


- Etude et manipulation de rétrovirus endogènes humains: La mémoire des origines. Des rétrovirus enfouis dans le génome humain


- Reprogrammer les cellules somatiques humaines en cellules souches pluripotentes de type embryonnaire: Nouveau Pygmalion. Remodeler l'homme à partir de cellules souches

- Le génome humain - Human Genome Project: Le patrimoine de l'humanité. Le génome humain et les droits de l'homme

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commentaires

A
"Pourquoi un tel décalage?" la réponse renvoie au législateur. Les manipulations expérimentales autorisées ou non,concernant les embryons et les cellules souches,sont différentes de part et d'autre de la Manche. La législation française étant plus restrictive.<br /> Pour une comparaison plus large sur la Recherche et l'Innovation entre nos deux pays, je vous renvoie à l'étude récente publiée sur le site http://www.conseilfrancobritannique.info/<br /> sous le titre: "Recherche et Innovation en France et en Grande-Bretagne : enjeux et perspectives "
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D
Pourquoi y-a-t-il un tel décalage pour ce genre d'études entre les britaniques et nous?
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L
Que les hommes et femme veuillent améliorer leur aspect extérieur ou leur santé ne relève que de leur libre arbitre. Que d'autres prennent des initiatives à leur place et irreversibles c'est different.
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L
Prétendre améliorer la nature en modifiant le génome humain relève d’une grande naïveté ou d’une grande irresponsabilité en l’état actuel de nos connaissances. Les experts n’ont pas à se substituer au législateur ou à la société.
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A
<br /> <br /> Votre remarque est extrêmement intéressante et ouvre un large champ de réflexion.<br /> <br /> <br /> 1 – améliorer la nature, n’est ce pas ce que certains espèrent en demandant une opération de chirurgie esthétique, par exemple, ou un remplacement d’organe, ou toute autre chirurgie réparatrice,<br /> ou un appareillage compensateur… ?<br /> <br /> <br /> 2 – améliorer en utilisant les nouvelles technologies issues du génie génétique n’iraient donc pas dans le même sens, celui d’un mieux être ou d’un mieux vivre ? Les experts de la dialectique<br /> minimaliste en resteraient à ce type de question et de logique.<br /> <br /> <br /> 3 – toucher au génome, en supposant que nous sachions parfaitement maîtriser le problème, et par là introduire des caractères nouveaux ou « améliorés » dans le patrimoine commun de l’humanité,<br /> créera de nombreux problèmes : moraux, législatifs, sociétaux, culturels, ethniques… (la liste n’est pas close).<br /> <br /> <br /> Quant aux experts, l’on suppose qu’il s’agit de scientifiques ou de médecins, de qui parle-t-on vraiment ?<br /> <br /> <br /> Les débats actuels autour du système de recherche français, Universités, Grands organismes (dont CNRS, INSERM, INRA, INRIA et CEA) et l’Industrie, nous montrent la complexité du problème et<br /> suggère l’ampleur du débat à venir.<br /> <br /> <br /> Le niveau d’intervention et les motivations des acteurs dans le paysage - recherche fondamentale, recherche dérivée ou finalisée, jeunes entreprises innovantes, firmes pharmaceutiques - sont très<br /> différents.<br /> <br /> <br /> Il est donc nécessaire qu’une large réflexion d’éthique soit engagée et qu’elle soit ouverte à l’ensemble de la société.<br /> <br /> <br /> C’est une réflexion qui doit préoccuper chaque état et qui doit se développer à la base, c’est-à-dire au plus proche des citoyens, partout où la législation du pays l’autorise.<br /> <br /> <br /> <br />